Quand finira la semaine

Il y a de ces vers qui continuent à courir par la tête de celui qui n’est même pas poète. Toutes les nuits, à l’insu de son surmoi, l’homme répète en remuant doucement les lèvres, ce même vers qui revient au galop dès qu’il le chasse et qui reste à cheval sur sa mémoire quand il ne le chasse pas.

Quand donc finira la semaine?

Il se le dit et se le redit le jeudi quand il sort les poubelles. Et le samedi lorsque minuit sonne au clocher. Le dimanche matin en enfilant ses chaussettes, il entend sa bouche qui susurre ces mots, toujours les mêmes, qui ramènent ses pensées encore et encore à la même mélopée.

Quand donc finira la semaine?

Le lundi vers six heures, tandis que le soleil descend sur l’asphalte réchauffé, puis le mardi au milieu de la foule à la file devant la caisse du supermarché, il s’impatiente un peu, il sent sa langue se mouiller, et il entend ces mêmes mots gargouiller bas dans son gosier.

Quand donc finira la semaine?

Alors parfois, pour tromper le désespoir, il lève le nez et prononce sans effort à l’adresse des muses la strophe entière que termine ce vers qui l’obsède, et tous les dieux de l’Olympe l’écoutent en souriant, mais aucun n’a pitié de lui.

Je passais au bord de la Seine

Un livre ancien sous le bras

Le fleuve est pareil à ma peine

Il s’écoule et ne tarit pas

Quand donc finira la semaine?

Ces vers, qui sont d’Apollinaire, ne m’appartiennent pas, mais ils me reviennent et me reviennent, et je ne m’en lasse jamais. Le poème s’appelle Marie et je sais que Marie ne nous entend pas, mais je prie pour elle et je pense à Marie, qui ne reviendra pas.

Marie

Vous y dansiez petite fille
Y danserez-vous mère-grand
C’est la maclotte qui sautille
Toutes les cloches sonneront
Quand donc reviendrez-vous Marie

Des masques sont silencieux
Et la musique est si lointaine
Qu’elle semble venir des cieux
Oui je veux vous aimer mais vous aimer à peine
Et mon mal est délicieux

Les brebis s’en vont dans la neige
Flocons de laine et ceux d’argent
Des soldats passent et que n’ai-je
Un cœur à moi ce cœur changeant
Changeant et puis encor que sais-je


Sais-je où s’en iront tes cheveux
Crépus comme mer qui moutonne
Sais-je où s’en iront tes cheveux
Et tes mains feuilles de l’automne
Que jonchent aussi nos aveux

Je passais au bord de la Seine
Un livre ancien sous le bras
Le fleuve est pareil à ma peine
Il s’écoule et ne tarit pas
Quand donc finira la semaine

Guillaume Apollinaire, Alcools

https://www.youtube.com/watch?v=hWYh92CvuvQ